Haïti : rencontre avec le gérant de la seule adresse gay du pays
En Haïti, la situation des LGBTI reste délicate. Dans un pays où les violences homophobes sont quotidiennes, notamment à Port-au-Prince, la capitale, la communauté sait rester discrète. Une situation précaire qui n’empêche pourtant pas les masisi (« gays » en créole haïtien) de retrouver une bulle de légèreté au sein de Terrace Bar Resto Club, la seule et unique adresse gay du pays. Rencontre avec Jean-Gardy Germeil, 33 ans, son fondateur et gérant.
Comment t’est venue l’idée de créer Terrace ?
Depuis longtemps, j’avais l’habitude d’organiser des soirées entre amis à Port-au-Prince. Pour fêter mon anniversaire, par exemple, j’organisais toujours deux soirées : une pour réunir ma famille et une autre autre pour mes amis gays.
Mais j’ai petit à petit réalisé qu’il n’y avait pas vraiment d’endroits gay-friendly à Port-au-Prince… C’est en 2013 que m’est venue l’idée de créer ce lieu. Au début, mes amis l’appelaient simplement Kay Gardy (« Chez Gardy »). Puis, on a finalement choisi de garder le nom Terrace.
Gérer la seule adresse gay en Haïti, est-ce que c’était un projet fou ?
Pour être honnête, mener cette affaire n’est pas de tout repos. C’est bien sûr une grande source de stress. Auparavant, il y avait d’autres lieux gay-friendly : c’était le cas du Yanvalou du temps de son ancien propriétaire ou encore du Jet Set, une boîte de nuit qui acceptait la communauté M et qui a aujourd’hui dû fermer…
Mais je suis pourtant heureux. En quatre ans d’existence, nous n’avons jamais eu aucun problème. Quand Terrace est né, d’autres personnes ont essayé de créer des lieux similaires. Mais ils n’ont jamais réussi à tenir. Il y a de nombreuses démarches administratives à entreprendre, notamment auprès du Ministère du Commerce pour obtenir une patente.
« J’ai reçu tout l’appui et le soutien de la communauté de Port-au-Prince. »
J’ai monté ce bar avec mes propres moyens et je n’ai reçu aucune aide extérieure, d’organisations ou de sponsors. En revanche, j’ai reçu tout l’appui et le soutien de la communauté de Port-au-Prince. Un étranger m’a notamment beaucoup aidé en me prêtant du matériel ou en me suggérant des idées de soirée : des concours de chants ou même des karaokés !
En cinq ans d’existence, as-tu vu la clientèle de Terrace évoluer ?
Bien sûr, le bar n’est plus la simple réunion d’amis des débuts. À l’époque, on ne pouvait pas entrer sans carton d’invitation. C’était plutôt un club où les gens se réunissaient en petit comité pour discuter, danser ou encore pour déguster un poisson boucané, une spécialité de la maison ! Mais depuis, j’ai voulu faire de Terrace un lieu plus ouvert à tous les gays de Port-au-Prince. J’ai longtemps voulu sanctuariser cet espace pour protéger ma clientèle mais je veux aujourd’hui donner plus de visibilité à la communauté LGBTI en Haïti.
Et Terrace peut se vanter de représenter plusieurs strates de la société haïtienne : des écoliers, des universitaires, des fonctionnaires, mais aussi de hautes personnalités… J’ai fixé le tarif d’entrée à 250 gourdes [environ 3 euros, ndlr]. Cela reste une certaine somme, mais c’est le prix le plus bas que j’ai pu fixer pour rendre l’endroit accessible au plus grand nombre. C’était le plus important pour moi.
Il y a quelques semaines, tu organisais une soirée de rentrée à Terrace. Comment organises-tu un événement comme cela ?
Pour la rentrée de septembre 2018, j’ai organisé une soirée strip-tease qui a réuni une soixantaine de personnes. Auparavant, j’embauchais toujours des Haïtiens. Mais c’est devenu de plus en plus dur car le strip-tease n’existe pas vraiment dans notre culture…
J’ai donc fait appel à un danseur dominicain, la « Perla Negra ». C’était toute un vrai défi logistique car il a fallu lui créer un passeport, lui faire accorder un visa d’entrée, payer son transport de Saint-Domingue (République dominicaine) à Port-au-Prince mais aussi son hébergement sur place…
Comment vois-tu la scène gay dans 10 ans à Port-au-Prince ?
La communauté n’est pas encore très solidaire. Certains homosexuels des classes aisées peuvent encore snober Terrace – précisément parce qu’il est vu comme « trop ouvert » ou trop « populaire». La hiérarchie des classes est très forte en Haïti et cela se retrouve malheureusement au sein de la communauté M.
« Certains homosexuels des classes aisées peuvent encore snober Terrace – précisément parce qu’il est vu comme « trop ouvert » ou trop « populaire ». »
Pourtant, les choses évoluent ici. Il y a encore quelques années, l’homosexualité était quelque chose de complètement tabou. On acceptait que chacun fasse ce qu’il veut mais dans son coin. Il était hors de question que les gays se réunissent en communauté. Désormais, des associations comme Kouraj ou Arc-en-Ciel ont fait entendre leur voix. A terme, je pense que la situation des LGBTI va bouger dans le bon sens !
Terrace Bar Resto Club, Port-au-Prince
Ouvert du mardi au vendredi de 8hpm à 12h am
Samedi 8h pm à 3h am
Dimanche 8h pm à 2h am